Lieux sacrés des traditions spirituelles

© Henri Pornon

Préhistoire et art pariétal

 

Nous ne pouvons affirmer avec certitude que l’art pariétal et les mégalithes étaient les premières représentations d’un sentiment sacré ou les premiers lieux de culte des hommes préhistoriques, mais cette hypothèse est défendue par un certain nombre de spécialistes, paléontologues et archéo-astronomes. Yves Clottes ("Pourquoi l'art préhistorique") soutient en particulier cette hypothèse pour l’art pariétal en établissant un parallèle avec les pratiques chamaniques telles qu’elles existent aujourd’hui et en s’interrogeant sur la fonction de ces peintures : s’il s’agit de pratiques rituelles visant à améliorer l’efficacité de la chasse, on est bien dans le domaine du sacré. S’il ne s’agit pas de chamanisme ou de telles pratiques rituelles, peut-on imaginer que l’homme préhistorique ait développé des pratiques artistiques à vocation purement artistique (l’art pour l’art) ?

 

Civilisation mégalithique

 

De nombreux sites mégalithiques (étymologiquement, mégalithe = grosse pierre) ont été répertoriés dans toute l’Europe, sans qu’on puisse toujours identifier précisément leur usage et qu’on puisse attester avec certitude d’une fonction sacrée. On sait aujourd’hui qu’ils sont antérieurs à la civilisation celte, les plus anciens datant du Vème millénaire avant notre ère, soit plus de 6000 ans ("Les mégalithes, ésotérisme et réalité", Jacques Briard).

 

Les menhirs (en breton, pierre longue) abondent en France et dans de nombreux pays et leur fonction n’a pu être identifiée. Certains postulent qu’il s’agirait d’une sorte d’acupuncture terrestre, ces menhirs étant chargés d’énergie et étant des points de passage de courants telluriques terrestres, mais cette hypothèse est bien entendu difficile à vérifier. On peut se demander si d’autres pierres non dressées comportant manifestement des cupules et des rigole d’écoulement (permettant de recueillir un liquide, eau ou sang) ont pu être utilisées comme lieu de culte et/ou de sacrifice, mais cette civilisation n’ayant pas laissé d’autres traces, il ne s’agit que d’hypothèses.

 

Il n’existe pas de preuve de l’usage des dolmens (en breton, table de pierre) à fins de sacrifice (comme on l’entend souvent dire), mais il semble certain aujourd’hui qu’il s’agissait de lieux de sépulture, et qu’on puisse les associer dans cette fonction aux tumulus et hypogées qu’on trouve de partout en Europe et dans le monde (Voir le recensement très complet des divers types de lieux de sépulture mégalithiques effectué par Roger Joussaume : "Des dolmens pour les morts, les mégalithismes à travers le monde"). Cependant, comme le remarque Augustin BERQUE ("Mésologie du sacré", dans l'ouvrage collectif : Y a-t-il du sacré dans la nature), « Enterrer les morts dans de véritables tombes, souvent avec des objets destinés à les accompagner dans l'au-delà, c'est témoigner indubitablement d'un sens du sacré, c’est-à-dire de la capacité d'instaurer, dans certains espaces, une communication avec le surnaturel ».

 

Il semble de plus que certains tumulus aient eu une autre fonction que celle de lieu de sépulture. Ainsi, le site de Newgrange, situé dans la vallée de la Boyne en Irlande est construit de façon à laisser pénétrer le premier rayon lumineux du soleil dans la chambre funéraire à l’époque du solstice d’hiver. D’autres sites, comme Gavrinis en Bretagne, ont également une orientation solsticiale. Pourquoi ce soin particulier apporté à l’orientation du site et à un aménagement permettant à la chambre funéraire de recevoir la lumière une fois par an lors du solstice ? Malgré l’absence de preuve, on est tenté de chercher une explication dans le domaine du sacré.

 

Il convient également d’évoquer les alignements et cercles de pierre mégalithiques, encore nombreux dans les îles britanniques. Les archéo-astronomes ont montré que ces sites assuraient une fonction astronomique de repérage dans le temps, les figures étant orientées de façon à mettre en évidence les solstices, les levers héliaques de soleil, de la lune, de certaines planètes (Vénus) ou étoiles (Sirius) : peut-on imaginer que l’observation du ciel et des mouvements célestes ait pu être dissociée de l’idée que ces hommes se faisaient du principe divin, alors que ce n’est qu’à partir de la Renaissance et dans le monde occidental que les astronomes ont commencé à dissocier observation du ciel et manifestation du principe divin ? On pourra consulter plusieurs ouvrages bien documentés sur l’archéo-astronomie : Geoffrey Cornélius et Paul Devereux (le langage secret des étoiles et des planètes), Yaël Nazé (l’astronomie des anciens) ou Ken Taylor (Géométrie céleste, comprendre la signification astronomique de sites anciens).

 

Certains de ces sites forment d’ailleurs de véritables paysages sacrés, incluant tumulus, cercles de pierre ou de bois, fossés, alignements ou allées bordées de pierres dressées, ce qui pose une fois de plus la question de l’existence de rituels autres que funéraires près de ces lieux de sépulture. Les plus connus sont Avebury et Stonehenge en Angleterre, et les alignements de Carnac en Bretagne, mais il en existe dans d’autres secteurs des îles britanniques ou en Bretagne.

 

Bien que, pour des raisons plus idéologiques que scientifiques, la plupart des scientifiques refusent ces hypothèses de sacralisation des peintures pariétales et des sites mégalithiques, elles restent plausibles et si on ne peut prouver leur véracité, elles ne peuvent pas non plus être réfutées avec certitude.

 

Il convient d’ailleurs de signaler que longtemps après la civilisation mégalithique, les hommes ont continué à dresser des pierres et à en faire des lieux sacrés. Ainsi Danielle HANI-MARAI (Géographie et Architectures sacrées : l'homme face au cosmos) constate que « pendant des millénaires, les pierres dressées intentionnellement furent considérées comme des points d'intercession potentiels entre ciel et terre. » Ainsi, à la suite de son célèbre rêve (l’échelle de Jacob), ce dernier érigera une pierre sacrée qui prendra le nom de BETHEL, autrement dit, la pierre de Dieu. Les lingams érigés dans les temples hindouistes constituent une autre catégorie de pierres dressées.

 

Gaulois et celtes

 

Il ne reste pas de trace des lieux sacrés utilisés par les gaulois, avant l’occupation romaine : il s’agissait majoritairement de lieux naturels : arbres sacrés, forêts sacrées, collines sacrées. Les rares vestiges des cultes gaulois sont récents et datent de la période romaine, pendant laquelle les divinités gauloises ont été rapprochées des divinités romaines et des lieux de culte associés (Paul-Marie Duval, Les dieux de la Gaule). C’est également le cas pour la religion des celtes, à laquelle on attribue à tort les mégalithes et autres alignements de pierres, d’origine plus ancienne.

 

Egypte ancienne

 

On dispose de nombreux vestiges des lieux de culte de l’Egypte ancienne : temples monumentaux, dont on connaît les dieux, une partie des rituels et des pratiques religieuses. Une partie de la légitimité du pharaon provenait de sa capacité à reproduire l’ordre cosmique sur terre et les égyptiens croyaient à l’immortalité, les pratiques rituelles de momification et les sépultures ayant pour fonction d’aider le mort à accéder l’autre monde. On ne peut donc exclure des sites sacrés de l’ancienne Egypte les pyramides et autres tombeaux.

René-Adolphe Schwaller de Lubicz dans son ouvrage monumental « Le temple de l’homme » montre que dans ces temples, « tout est symbole » : géométrie, valeurs numériques, décors, etc. Fernand Schwarz évoque également la « Géographie Sacrée de l’ancienne Egypte » dans son ouvrage éponyme.

 

Mésopotamie, Grèce et Rome antiques

 

A l’inverse des gaulois et des celtes, les grecs et les romains ont construit de nombreux temples aux divinités de leurs panthéons respectifs et il en reste de nombreux vestiges, malgré les tentatives de la jeune religion catholique de les faire disparaître du paysage dans les premiers siècles du christianisme.

Jean Richer ("Géographie sacrée du monde grec" et "Géographie sacrée dans le monde romain")  a analysé de façon très intéressante la localisation de ces sites et, en comparant les écrits anciens, les monnaies locales et les décors des temples, montre qu’ils sont souvent organisés de façon à représenter un zodiaque rayonnant autour d’un « omphalos » (centre du monde). Nous présenterons ses conclusions dans une prochaine mise à jour du site.

On peut également évoquer les ziggourats qui témoignent des pratiques rituelles de la religion de la Mésopotamie ancienne.

 

Judaïsme

 

La religion juive a connu 3 périodes dans son approche des lieux sacrés. A l’origine, elle dispose, d’une part de lieux de commémoration (tombeau des patriarches, Bethel associé à la lutte de Jacob avec l’Ange, etc), d’autre part, de l’Arche d’Alliance, sorte de temple nomade qui suit les déplacements du peuple juif dans le désert. Dans une deuxième période, la religion juive va se focaliser sur un lieu sacré qui deviendra une légende et dont on retrouve encore les traces aujourd’hui dans le symbolisme maçonnique : le Temple de Salomon sera détruit et reconstruit plusieurs fois, jusqu’à sa destruction définitive par les romains en l’an 70 après Jésus-Christ. Jérusalem gardera cependant le statut de ville sacrée de la religion juive. Plus tard, pour permettre aux membres de la diaspora de se rassembler, des synagogues seront construites dans le monde entier et deviendront les lieux de culte de cette religion. Il convient également de signaler que dans certains pays, des mausolées honorent des saints juifs (Afrique du Nord en particulier) et constituent une autre catégorie de lieux sacrés.

 

Christianisme

 

Les premiers chrétiens refusaient les temples, associés dans leur esprit aux temples païens des romains et se réunissaient dans les catacombes, mais dès le Vème siècle, des chapelles et églises ont été construites pour permettre aux chrétiens de se réunir et pour accueillir les reliques des saints et martyrs. Les périodes romanes et gothiques ont été les plus fécondes et les constructions de cette époque sont les plus riches en symbolisme chrétien, mais il convient de ne pas oublier qu’il s’est construit des églises à toutes les époques (baroque, classique, et jusqu’à l’époque moderne). Les églises orthodoxes ont développé un symbolisme et une architecture différente de l’église catholique et la réforme a conduit à partir du XVIème siècle à l’émergence de deux styles architecturaux et de décors radicalement opposés : au dépouillement des temples protestants fait écho le style baroque surchargé de la contre-réforme.

Il convient enfin de signaler que la géographie sacrée du monde chrétien comporte plusieurs grands itinéraires de pélerinages, anciens (Compostelle, Rome ou Jérusalem) ou plus récents (Vézelay / Assise) et que de très nombreuses croix jalonnent les routes et les chemins du monde chrétien. Enfin, Jérusalem et Rome ont le statut de villes sacrées pour les chrétiens.

 

Islam

La géographie sacrée de l’Islam est centrée sur 3 villes sacrées, liées à l’histoire du Prophète Mohammed : La Mecque, lieu d’origine du Prophète et lieu de pèlerinage du monde musulman, Médine, lieu où le prophète a démarré sa prédication, et Jérusalem, associé au voyage nocturne mythique du prophète.

Les lieux sacrés de l’Islam sont par ailleurs les mosquées orientées vers la Mecque, dans lesquelles les croyants peuvent se rassembler pour prier ensemble et les mausolées entretenant la mémoire de personnages remarquable de l’Islam. A noter que le musulman sacralise toute portion de la surface terrestre sur laquelle il déploie son tapis de prière en s’orientant vers la Mecque. Enfin, comme pour les saints juifs, des mausolées honorent des « saints » de l’Islam (sages soufis en particulier) et permettent aux fidèles des confréries d’en recevoir la baraka.

 

Un point commun aux 3 religions du Livre est que les sanctuaires dédiés aux saints juifs, chrétiens ou musulmans sont encore chargés d’une énergie spirituelle que les fidèles viennent chercher à l’occasion des fêtes commémoratives de leurs dédicataires (la baraka des musulmans).

 

Civilisations d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud

 

Nous connaissons de multiples exemples des temples érigés par les civilisations de ce continent, en particulier, inca et maya, et disposons de quelques indications sur les rituels et religions de ces civilisations, malgré le soin avec lequel les colonisateurs espagnols ont tenté d’en faire disparaître les traces. Il convient d’ajouter à ces vestiges de l’architecture sacrée pré-hispanique, d’une part, quelques lieux naturels ayant été sacralisés (comme le Lac Titicaca au Pérou ou le Lac de Guatavita en Colombie) et d’autre part, des lieux géographiques dont l’origine et l’usage est énigmatique et pose question : il s’agit d’une part, de ces alignements qu’on peut encore détecter dans plusieurs pays d’Amérique latine, qui remonteraient à la civilisation maya ou pré-inca), d’autre part, des surprenantes figures de Nazca, qui ont donné lieu à de très nombreuses hypothèses, allant jusqu’à l’idée qu’il pouvait s’agit d’une piste d’atterrissage pour extra-terrestres (Le fait d’évoquer ces hypothèses ne signifie pas pour autant que l’auteur les reprend à son compte !)

 

Zoroastrisme

 

Deux constructions sont typiques du zoroastrisme : les temples du feu, lieux de culte et les tours du silence, affectées aux rites funéraires des adeptes de cette religion.

 

Bouddhisme

 

Bien que n’étant en théorie pas une religion, le bouddhisme comporte de nombreux lieux sacrés : lieux commémorant la mémoire d’épisode de la vie du Bouddha, temples bouddhistes, statues monumentales, stupas et itinéraires de pèlerinage.

 

Hindouisme et autres religions de l’Inde

 

Il existe de très nombreux lieux sacrés des religions de l’Inde, parfois partagés avec le Bouddhisme comme à Angkor. Les temples hindous

et bouddhistes partagent le souci du respect d’une géographie sacrée qui en fait des représentations terrestres du monde céleste : lacs, fleuves et montagnes sacrées se retrouvent dans l’architecture de nombreux temples.

 

Taoïsme, confucianisme, shintoïsme

 

Après avoir dans un premier temps privilégiés les sites naturels, notamment les 5 montagnes sacrés de Chine, les pratiquants de la philosophie taoïste ont ensuite construit de nombreux temples et Monastères, parfois dans des grottes.

De même, le confucianisme, bien qu’étant une philosophie plus qu’une religion, s’est matérialisé géographiquement par de nombreux temples dédiés à Confucius.

Enfin, le shintoïsme, religion animiste japonaise, bien que célébrant les esprits de la nature, et sacralisant volontiers des sites naturels (arbres et rochers notamment), comporte de nombreux temples. Les Torii, ces portiques bien caractéristiques du shintoïsme, participent également à la sacralisation des lieux

 

Chamanisme

Il n’existe pas à notre connaissance d’aménagements humains comparables aux églises et autres temples sur les lieux sacrés du chamanisme : certains sites naturels ont cependant une fonction permanente de lieux sacrés (forêts en Afrique, montagnes, lacs, vallées) et de nombreux sites peuvent être transformés provisoirement en lieux sacrés pour une cérémonie particulière.