© Henri Pornon
Il convient pour débuter d’évoquer les alignements astronomiques de mégalithes préhistoriques. Le fait qu’ils indiquent des directions privilégiées (levers et couchers solaires, lunaires ou d’étoiles à des périodes particulières comme les solstices et les équinoxes) n’est pas contesté, ce qui confirme une pratique de l’observation astronomique par cette civilisation. En revanche, Yaël Nazé (L’astronomie des anciens, 2009, Editions Belin), conteste les analyses de Thom père et fils, signalant que certains mégalithes sont alignés avec des levers ou couchers de soleil ou de lune aux solstices à 1 minute d’arc près. Ces travaux ont été repris par le statisticien Clive Ruggles, de l'université de Leicester, qui a confirmé au passage l’existence de ces alignements astronomiques, mais que leur précision n'excède pas un degré. Ces alignements concernent surtout les points d'arrêts de la Lune.
Ensuite, la précision d’alignement en latitude de plusieurs temples de la Grèce Antique mise en évidence par la géolocalisation de plusieurs sites associés dans le Zodiaque de Jean Richer pose la question de l’aptitude des hommes de l’antiquité à implanter ces sites avec une telle précision. Il apparaît en effet que Delphes et Sardes sont alignés sur le même parallèle, et Délos, le temple de Lycosure et le temple d'Apollon à Didymes sont également sur un même parallèle (les alignements étant précis au 1/100 de degré près).
Une autre relation géométrique associe Ammonion, Délos et le Mont Hoemus en Bulgarie, sur une droite ou un arc qui fait un angle de 2° environ avec le méridien. Connaissant la difficulté qu’on toujours rencontré les hommes pour se localiser précisément sur les méridiens, on ne sera pas surpris de cet écart de 2°, qui sera justifié plus loin.
S’agissant dans les deux cas de points éloignés de plusieurs centaines de kilomètres, donc invisibles les uns des autres, la seule possibilité de les aligner correctement est de mesurer la latitude (pour les points situés sur le même parallèle) ou la longitude (pour les points situés sur le même méridien) de l’un et de la reporter pour implanter les autres.
J’ai donc consulté plusieurs ouvrages traitant de topographie et d’astronomie antique (voir bibliographie), pour vérifier les moyens et la précision avec laquelle les civilisations de l’antiquité pouvaient mesurer des latitudes et longitudes, ou des directions et donc implanter précisément des temples : les deux ouvrages les plus documentés sont d’une part, « Sciences Géographiques dans l’antiquité » de Raymond d’Hollander et « L’astronomie des anciens » de Yaël Nazé.
Le principal moyen de mesurer des latitudes était le gnomon (piquet planté verticalement dans le sol), dont l’ombre, mesurée à midi permettait de calculer la latitude. La précision était d’autant plus importante que le gnomon était long et certains mesuraient 30 mètres (les obélisques étaient utilisés comme gnomon). Quelle précision pouvait-on atteindre avec ce moyen ? Vivien de Saint-Martin et d’Hollander signalent la performance de Pythéas, qui au IVème siècle avant Jésus-Christ, a mesuré la latitude du Vieux Port de la Ville de Marseille à 5 mn près (soit 1/12ème de degré). On peut cependant se demander si cette performance n’est pas exceptionnelle, car on ne connaît pas d’autres exemples d’une telle précision. D’Hollander indique d’ailleurs qu'au IIIème siècle avant Jésus-Christ, en cherchant à calculer la circonférence terrestre par différence de latitude entre Syène et Alexandrie, Eratosthène a obtenu un résultat précis à 5 minutes, avec des mesures très probablement effectuées à l’aide de gnomons, mais il observe que chacune des deux mesures de latitude était entachée d'une erreur systématique conséquente, qui s'annulait dans le calcul de la différence des latitudes. Les grecs utilisaient des tables d'ombres qui indiquaient pour une région donnée, la longueur de l'ombre du gnomon à midi à diverses époques de l'année, et d'autres qui donnaient les rapports du gnomon à midi à l'équinoxe et aux solstices en divers lieux.
La détermination des longitudes posait beaucoup plus de problèmes, comme l’affirme d’Hollander pour la période de la Grèce antique, mais cette difficulté se pose tant que la précision des horloges ne fait pas de progrès significatifs : « Si les latitudes trop peu nombreuses ont pu être déterminées à peu près correctement, les longitudes présentent la plupart du temps des erreurs criardes ». Le moyen permettant de mesurer des longitudes est rapporté par Strabon : « de même, s'il s'agit d'évaluer les distances relatives vers l'Est ou vers l'Ouest, on ne saurait le faire avec exactitude sans la comparaison des éclipses de soleil et de lune ». Le décalage temporel de ces éclipses entre deux lieux permettait de déduire de la longitude du premier celle du deuxième, avec une grande imprécision dûe à celle des mesures temporelles. Pour D’Hollander, « Nous ne savons rien des quelques différences de longitude que d'après Ptolémée, il (Hipparque) aurait obtenu par différence des heures locales déterminées au même instant, lors d'une éclipse de lune ».
Vivien de Saint-Martin et D’Hollander rapportent qu’Hipparque fut le premier à préconiser les mesures astronomiques de longitude et de latitude pour déterminer la position des lieux sur la carte. Le premier, affirme que, « Frappé de l'incertitude et des erreurs qu'entraînait l'emploi exclusif des distances, presque toujours très vagues, fournies par les voyageurs et les marins, il (Hipparque) voulait que le plus grand nombre possible des positions de la carte fut fixé par des observations d'éclipses et des observations gnomoniques, en d'autres termes, par la détermination astronomique des longitudes et des latitudes ». Pour le second, « Hipparque est donc le concepteur d'une cartographie rationnelle, basée sur des mesures de longitude et de latitude, mais nous verrons que bien qu'il eut à sa disposition l'instrumentation nécessaire, des données suffisantes d'astronomie fondamentale, l'outillage mathématique indispensable, les mesures d'astronomie de position d'Hipparque sont peu nombreuses ou incertaines et que son apport à la géographie antique est relativement modeste, comparé à celui de Ptolémée. » Et pourtant, le bilan des localisations géographiques disponibles à l’époque de Ptolémée est mince, comme l’évoque Vivien de Saint-Martin : « Le nombre total des noms géographiques enregistrés dans les Tables de Ptolémée est de 8000 environ; le nombre des lieux pour lesquels on avait des observations gnomonique ou de latitude -observations d'une valeur fort inégale et un très grand nombre prodigieusement erronées- est de moins de 400. Nous ne parlons pas d'observations de longitudes; Ptolémée, non plus que ses prédécesseurs, n'en possédait pas une seule sur laquelle on pût faire le moindre fond. »
En conclusion, Vivien de Saint-Martin rapporte l’appréciation de Delambre, astronome et auteur d’une autre Histoire de l'Astronomie Ancienne (1749-1822) : « la géographie mathématique des anciens n'offre aucune position sur laquelle on puisse compter. Les latitudes ne sont pas toujours exactes à un degré près ; les longitudes n'auraient pu être fixées à 2 degrés près, sans un hasard assez extraordinaire. Les erreurs de 4 à 5 degrés ne sont pas rares dans une même contrée, et il y en a de bien plus fortes d'un pays à l'autre ». On peut donc plutôt retenir le degré comme précision de détermination des latitudes et 4 ou 5 degrés pour la précision de détermination des longitudes.
Les choses sont plus faciles quand on souhaite implanter un axe nord-sud ou est-ouest pour matérialiser l’orientation d’un bâtiment ou d’un axe car les extrémités sont visibles l’une de l’autre. Le plus ancien exemple est celui des pyramides égyptiennes. Yaël Nazé signale que « la grande Pyramide de Khéops (autour de -2550 avant JC) ne dévie que de quelques minutes d'arc des directions Est-Ouest et Nord-Sud parfaites ». Elle fait état de décalages observés avec cette orientation pour des constructions égyptiennes antérieures et postérieures, ce qui pourrait s'expliquer en partie par la précession, mais aussi par le choix de méthodes d'alignement différentes pour certaines constructions. Elle propose également plusieurs méthodes d'alignement qui auraient pu être utilisées : Gnomon (peu précis), direction médiane entre lever et coucher du soleil (également peu précis), observation du lever et du coucher d'une étoile (plus précis). Pour D’Hollander « On peut penser que pour l'orientation des pyramides de Gizeh, les égyptiens ont déterminé la direction du sud en observant le soleil avant et après son passage au méridien sous des hauteurs égales h. Ils matérialisaient au sol les directions correspondantes et la bissectrice de l'angle était la direction du méridien ». Il évoque également les méthodes utilisées pour l’implantation des axes des villes grecques et romaines (cardo et decumanus) : « Assez souvent, l'implantation des deux axes principaux s'effectuait en fonction des points cardinaux : l'un au moins des axes devait être déterminé par méthode astronomique. L'axe Est-Ouest pouvait être déterminé d'après la direction du soleil levant aux équinoxes. L'axe Nord Sud pouvait être théoriquement déterminé au gnomon par la direction de l'ombre de celui-ci, lors que cette ombre avait une longueur minimale, mais une telle opération présentait peu de précision. Il était préférable d'opérer comme les égyptiens pour l'orientation de leurs grands monuments. »
Les autres ouvrages consultés, notamment ceux d’Evaristo Luciani et de Jean-Sylvain Bailly n’apportent pas d’informations supplémentaires.
Références bibliographiques
• Jean-Sylvain BAILLY, Histoire de l'astronomie ancienne depuis son origine jusqu'à l'établissement de l'école d'Alexandrie, 1795, Editions Burillier, Vannes (1997)
• Raymond d'HOLLANDER, Sciences géographiques dans l'antiquité, 2002, AFT / ENSG-IGN
• Evaristo LUCIANI, L’Histoire des arpenteurs et géomètres, des origines à nos jours, 1978, Conseil National des Géomètres Italien
• Yaël NAZE, L’astronomie des anciens, 2009, Editions Belin
• Louis VIVIEN DE SAINT-MARTIN, Histoire de la géographie et des découvertes géographiques depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, 1875, RARE BOOKS CLUB